Le passage de la nuit - Haruki Murakami
Le passage de la nuit - Haruki Murakami
Titre original : After Dark
Editions 10/18, Belfond, 2007 pour la traduction française. 230 pages
Quatrième de couverture : Dans un bar, Mari est plongée dans un livre. Elle boit du thé, fume cigarette sur cigarette. Surgit alors un musicien qui la reconnaît. Au même moment, dans une chambre, Eri, la soeur de Mari, dort à poings fermés, sans savoir que quelqu'un l'observe. Autour des deux soeurs vont défiler des personnages insolites : une prostituée blessée, une gérante d'hôtel vengeresse, un informaticien désabusé, une femme de chambre en fuite.
Des évènements bizarres vont survenir : une télévision qui se met brusquement en marche, un miroir qui garde les reflets ... A mesure que l'intrigue progresse, le mystère se fait plus dense, suggérant l'existence d'un ordre des choses puissant et caché. Le temps d'une nuit, Haruki Murakami nous entraîne dans un Tokyo sombre, hypnotique, aux prémices d'un drame.
Mon avis : Comme dans beaucoup d'oeuvres de Haruki Murakami, le réel côtoie le fantastique.
Le cinéma, en tant que technique, y tient une part importante. Haruki Murakami souhaitait être scénariste de cinéma. Nous sommes régulièrement conviés à observer l'histoire comme au travers de l'oeil d'une caméra, avec différents angles de vue, focus sur les personnages, etc... Le livre fait également référence au film de Jean-Luc Godard : Alphaville, un univers où sont proscrits tous sentiments profonds, par le biais du nom d'un love hotel.
De même on se rend compte que certains lieux se ressemblent beaucoup, si ce n'est par la façon dont ils sont meublés (plusieurs scènes se déroulent dans des pièces aveugles : une chambre dans un lieu inconnu, un bureau et une chambre du love hotel Alphaville ... comme si finalement ces différents endroits n'étaient que des décors impersonnels dont on se contente de changer le mobilier)
L'histoire se déroule en une nuit, à Tokyo. Le dessin d'une horloge qui égrenne les heures ponctue régulièrement le roman.
On retrouve également dans ce livre toute une atmosphère musicale, Haruki Murakami s'attache à citer les musiques d'ambiance des différents lieux que nous découvrons. L'un des personnages est musicien dans un groupe de jazz, l'une des grandes passions de Haruki Murakami qui a été le responsable d'un bar à jazz, le Peter Cat, à Tokyo.
C'est un roman qui joue essentiellement sur les oppositions et les contrastes. Un Tokyo aux deux visages, l'un surpeuplé et agressif pour nos sens : C'est une mer de néons multicolores. [...] Un énorme game-center encombré de jeunes. Exubérance de sons électroniques. Des salary-men qui se pressent sur les passages piétons, pour attrapper le dernier train... l'autre sombre et inquiétant : "C'est peut-être pas mes affaires, poursuit Kaoru, mais honnêtement, qu'une fille seule, sérieuse, passe la nuit dans le coin, ça va pas. Il y a des types dangereux. Même moi, j'ai eu chaud quelquefois. Après le dernier train et jusqu'au premier du matin, le quartier est pas le même que pendant la journée." ... La solitude au milieu de la foule. Deux personnages principaux, Mari et Eri, deux soeurs qui semblent aux antipodes l'une de l'autre, avec pourtant des prénoms semblables à une syllabe près...
Mari attache peu d'importance à son apparence physique, elle est intellectuelle et pragmatique :
Elle est très absorbée par sa lecture. Elle ne lève pour ainsi dire pas les yeux. Son livre : un pavé à jaquette cartonnée. Le titre est invisible parce que l'ouvrage est recouvert du papier de la librairie. Etant donné l'air assidu de la fille, il est possible qu'il soit du genre prise de tête. Qu'on ne peut pas lire en diagonale, qu'on doit digérer ligne à ligne. (page 9)
Sa soeur, jeune mannequin, est sophistiquée et présentée comme plus superficielle.
(Mari) : Tu sais, ma soeur, je suis sûre qu'elle ne fait pas la différence entre un trombone* et un grille-pain. En revanche il parait qu'elle distingue au premier coup d'oeil un Gucci d'un Prada
- Chacun son domaine. (page 28)
* : l'instrument de musique
Tout ce qui concerne Mari est du domaine du réel, ce qui concerne Eri est du domaine du fantastique ... jusqu'à sa beauté que j'ai ressenti comme presque irréelle et évanescente.
Eri s'est coupée du monde en plongeant dans un sommeil profond. Mari passe une nuit blanche pour accomplir une quête que nous allons découvrir au fil de l'histoire.
Nous allons aussi découvrir que les apparences sont trompeuses et que l'image lissée d'Eri cache une grande souffrance psychologique.
J'ai été très touchée par les métaphores utilisées par Haruki Murakami pour décrire cette adolescente incomprise, qui peu à peu n'est plus entendue par son entourage ni par sa famille, qui a peut être subi des violences physiques à l'insu de tous, et qui a l'impression de disparaître.
De toutes ses forces, elle frappe la porte des deux poings. Elle espère ainsi que quelqu'un l'entednra, lui ouvrira de l'extérieur. Plus elle tape fort, plus le bruit est étonnament inconsistant. (page 128)
[...]Conséquence : elle prend conscience que, de la sorte, elle n'est plus quelqu'un ; qu'elle devient peu à peu un être dont l'existence a un rôle purement pratique. Laisser s'écouler commédement les choses de l'extérieur. Toute la surface de sa peau se crispe dans une sensation de violente solitude, en une sorte de chair de poule. Elle crie très fort : "Non, je ne veux pas devenir comme ça!" Mais elle a beau avoir l'impression qu'elle a hurlé, en réalité, sort de sa gorge une vois infiniment faible, évanescente. (page 131)
J'ai apprécié la galerie de personnages tourmentés que Haruki Murakami nous propose. J'ai aimé l'ambiance du roman, une ambiance construite de manière originale, qui m'a parue soignée et travaillée, intrigante, inquiétante. L'atmosphère est selon moi le grand atout de ce livre.
Les avis de Nina, Florinette, Sebastien L ,