L'Africain - J.M.G. Le Clézio (Blogoclub)
L'Africain de J.M.G. Le Clézio
Folio, 2004, 124 pages.
Quatrième de couverture : "J'ai longtemps rêvé que ma mère était noire. Je m'étais inventé une histoire, un passé, pour fuir la réalité à mon retour d'Afrique, dans ce pays, dans cette ville où je ne connaissais personne, où j'étais devenu un étranger. Puis j'ai découvert, lorsque mon père, à l'âge de la retraite, est revenu vivre avec nous en France, que c'était lui l' Africain. Cela a été difficile à admettre. Il m'a fallu retourner en arrière, recommencer, essayer de comprendre. En souvenir de cela, j'ai écrit ce petit livre."
Photo : Pont sur la rivière. Ahoada
A l'image du pont dont la photo des cordes tressées illustre la couverture, j'ai eu l'impression de découvrir dans ce livre plusieurs histoires étroitement entremêlées. L'histoire d'un fils qui a été séparé de son père pendant les premières années de sa vie, l' histoire du père coupé de sa famille pendant ces mêmes années où la seconde guerre mondiale fait rage.
A l'âge de huit ans à peu près, j'ai vécu en Afrique de l'Ouest, au Nigéria, dans une région assez isolée où, hormis mon père et ma mère, il n'y avait pas d'Européens, et où l'humanité, pour l'enfant que j'étais , se composait uniquement d' Ibos et de Yoroubas. (page 11)
Ce que je recevais dans le bateau qui m'emmenait vers cet autre monde, c'était aussi la mémoire. Le présent africain effaçait tout ce qui l'avait précédé. La guerre, le confinement dans l'appartement de Nice (où nous vivions à cinq dans deux pièces mansardées, et même à six en comptant la bonne Maria dont ma grand-mère n'avait pas résolu de se passer), les rations, ou bien la fuite dans la montagne où ma mère devait se cacher, de peur d'être raflée par la Gestapo - tout cela s'effaçait, disparaissait, devenait irréel. Désormais, pour moi, il y aurait avant et après l' Afrique. (pages 16-17)
Cette séparation forcée dûe à la guerre va provoquer une cassure irréparable entre le père et le fils, une blessure qui les marquera tous les deux. Ils en ont chacun profondément souffert , souffert du même mal sans parvenir à trouver le moyen de le surmonter ensemble.
Sans doute les choses se seraient-elles passées autrement s'il n'y avait pas eu la cassure de la guerre, si mon père, au lieu d'être confronté à des enfants qui lui étaient devenus étrangers, avait appris à vivre dans la même maison qu'un bébé, s'il avait suivi ce lent parcours qui mène de la petite enfance à l'âge de raison. ce pays d'Afrique où il avait connu le bonheur de partager l'aventure de sa vie avec une femme, à Banso, à Bamenda, ce même pays lui avait volé sa famille et l'amour des siens.
Il m'est possible aujourd'hui de regretter d'avoir manqué ce rendrez-vous. J'essaie d'imaginer ce que cela pouvait être, pour un enfant de huit ans, ayant grandi dans l'enferment de la guerre, d'aller à l'autre bout du monde rencontrer un inconnu qu'on lui présente comme son père.(page 108)
Ce livre, c'est aussi une histoire d'amour : l'amour des parents de J.M.G. Le Clezio l'un envers l'autre, mais aussi leur amour pour les Africains et l' Afrique où le père de l'auteur était médecin. On découvre ici ses espoirs, son aversion pour le colonialisme, et son amour pour un pays aussi fascinant qu'il peut se révéler dangereux... un pays sauvage, mystérieux, qui éveille les passions, où la mort est omniprésente et côtoie la joie de vivre. On sent bien que l'amour des parents pour le continent africain coule dans les veines de leur fils.
J'ai ressenti beaucoup de dualités en lisant ce livre, dont le
courage et la somme de travail colossale abattue par le père de
l'auteur, avec très peu de moyens finalement, son abnégation et cette
sorte d' "impuissance" face à l'ampleur de sa tâche, aux épidémies et à la malnutrition.
Photo : Danse à Babungo, pays nkom.
Le tout est illustré par des photos prises par le père de l'auteur.
Je n'ai qu'un seul petit regret, j'aurais bien aimé que l'auteur rentre plus dans les détails de sa vie quotidienne en Afrique ( je suis une insatiable curieuse :-), mais comme il a écrit d'autres livres sur le même thème, je pense que je pourrai satisfaire ma curiosité en lisant d'autres oeuvres de l'auteur, comme Coeur brûlé et autres romances présenté par Florinette ou Onitsha présenté par Julien et Lisa .
Tout comme Florinette j'ai été émue par l'écriture fine et chargée d'émotions de cet écrivain que j'ai découvert avec un grand plaisir.
Merci donc à nos organisatrices du blogoclub, Sylire et Lisa, sur les blogs de qui vous pourrez trouver la liste des participants et des billets publiés :-).
Il me reste à faire le tour des articles en question et à aller papoter ici et là ;-)
Prochain thème du Blogoclub : le Mexique avec L'instinct d'Inez de Carlos Fuentes à lire pour le 1er mai.
Edit de 19h45 : Ce livre m'a rappelé l'Ange Combattant écrit par Pearl Buck en mémoire de son père missionnaire en Chine. Je suis consciente qu'il y a des différences fondamentales entre les deux personnalités. Mais j'y retrouve deux hommes qui se sont embarqués loin de leur terre natale et qui ont combattu avec une énergie farouche et peu commune pour aider leurs semblables, en cotoyant quotidiennement la misère.