533087_1302019Nous étions les Mulvaney de Joyce Carol Oates
Titre original : We Were the Mulvaneys
Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Claude Seban
Editions STOCK, 1998 pour la traduction française, 597 pages

Quatrième de couverture : A Mont-Ephraim, petite ville de l'état de NewYork, tout le monde connait les Mulvaney, et leur envie de bonheur et de réussite.

Michael, le père, d'origine modeste, a su, à force de travail, obtenir sa place au soleil et se faire accepter par la bonne société de la ville. Grâce à sa femme, qu'il adore, la ferme qu'ils habitent est un coin de paradis, une maison de contes de fées où, au milieu d'une nature splendide, entourés de chiens, de chats, d'oiseaux et immensément d'amour, leurs trois fils et leur fille Marianne vivent une enfance inoubliable.

Mais le jour de la Saint-Valentin 1976, un drame survient qui met un terme à cette existence idyllique, fait voler la famille en éclats et marque de manière indélébile chacun de ses membres ... [...]


Mon avis : J'ai bien aimé l'écriture de l'auteur et son sens de la description. J'ai particulièrement aimé la description de la maison, de l'environnement ... mais je n'ai pas tellement accroché à l'histoire.

Le récit s'articule en plusieurs parties, avec plusieurs narrateurs (ou du moins le point de vue de plusieurs personnes), le principal étant Judd, le plus jeune enfant. J'ai trouvé la première partie très longue ... principalement cet évènement qui va tout bouleverser est évoqué très longtemps à l'avance, mais sans le nommer directement alors qu'on devine avez vite de quoi il retourne. J'ai commencé à accrocher réellement seulement quand le rôle du narrateur est repris par Patrick, une des seules personnes de la famille décidée à agir.

En fait l'histoire de cette famille m'a mise assez (même très) mal à l'aise. Très tôt j'ai eu l'impression que le bonheur qu'ils affichaient était factice ... que les parents étaient très sensibles au regard d'autrui ... au point d'y sacrifier leur propre fille. La famille telle qu'elle nous a été présentée dans la première partie m'a fait l'effet d'une sorte "d'appartement témoin" (ou de "famille témoin" du bonheur américain) en quelque sorte. Les enfants étaient presque "obligés" d'être heureux et de donner l'image d'une famille unie. Cette phrase peut paraître paradoxale mais c'est ce que j'ai ressenti, pas le droit au défaut ou à l'erreur.

Or quand on creuse un peu entre les lignes, on s'aperçoit qu'il y a peu de place pour l'individualité et la construction personnelle dans la famille Mulvaney, du moins pour les enfants. Ils ont des emplois du temps hyper chargés, ils n'ont aucune intimité (pas de clé sur les portes), ils n'ont jamais le temps de se poser me semble-t-il. Bien sûr cette ferme en pleine campagne, où vivent de nombreux animaux, peut sembler un endroit de rêve pour les enfants... mais j'avais l'impression qu'on ne laissait jamais la place aux imperfections, aux problèmes qui surgissent dans la vie et qui font qu'en les affrontant, on se construit. Les échanges entre enfants et parents sont régis par des codes, et les parents sont, sous une bonhommie apparente, plutôt autoritaires et infantilisants. Par exemple ils donnent à leurs enfants des sobriquets plus appropriés à des bambins qu'aux adolescents qu'ils sont devenus. A plusieurs reprises j'ai constaté qu'on parlait de Judd, le plus jeune, comme d'un  petit garçon alors qu'il était déjà collégien, voire lycéen.

Patrick prononce maintenant ces mots qui me bouleversent : "J'ai besoin de ton aide, Judd."

Ce n'est pas seulement le mot aide qui me surprend, venant de mon frère. c'est mon nom Judd, mon vrai nom et pas Ranger ou le môme ; comme si, sérieux pour une fois, il lui fallait enfreindre le code familial. Comme si, en cet instant, nous étions égaux.

Même entre frères et sœurs les relations ne sont pas très tendres, l'aîné des frères est assez peu présent et sortira assez vite de l'histoire (de la famille) quand la situation va se compliquer. J'ai eu un espoir quand Marianne est partie vivre chez une tante éloignée. Bien que n'approuvant pas la mise à l'écart de la jeune fille, j'ai cru qu'elle allait arriver chez une personne qui lui donnerait l'affection dont elle était privée au sein de sa propre famille. J'ai vite déchanté, constatant que dans cette familiale il ne semblait pas y en avoir un pour racheter l'autre. Jusqu'au moment où les deux plus jeunes frères décident d'intervenir.

J'ai trouvé qu'il émanait de cette famille une certaine cruauté  sous-jacente, en plus de la cruauté inhérente à l'histoire principale. Les rapports du frère aîné avec les plus jeunes par exemple (il semble tour à tour indiférent ou sarcastique) ... ou bien le fait que le chien du fils aîné meure de chagrin après le départ de son maître, dans ce qui semble être l'indifférence générale.

L'attitude de la mère (et du père) m'a semblé aussi cruelle qu'incompréhensible et m'a profondément choquée. Non seulement l'éloignement de Marianne, mais le fait qu'ils refusent d'aller la voir, là j'avoue ne pas comprendre et trouver cette attitude inexcusable. Le clou étant la réaction de la mère lorsqu'on lui fait l'éloge de sa fille à la coopérative où elle travaille.

En fait cette famille qui refusait l'imperfection ne pouvait qu'éclater à la longue, car ils n'étaient pas habitués à affronter, me semble-t-il , les problèmes que la vie ne manque pas de vous présenter tôt ou tard. Les parents étaient passés maîtres dans l'art de ne voir que ce qu'ils voulaient bien voir.

Marianne s'écria : "Muffin ! regarde qui est là!" Maman s'écria : "Muffin! Tu te souviens de nous!" Elle étreignit le chat, qui s'était mis à ronronner très fort. "Il n'a pas changé du tout, Judd, tu ne trouves pas?" dit maman. Elle avait les yeux plein de larmes, et un grand sourire tendu qui lui découvrait les dents.

En fait, Muffin avait maigri. Son poil blanc tacheté de couleurs était soyeux, mais il avait le ventre flasque et la colonne vertébrale saillante.

Finalement cet éclatement vas leur permettre de construire chacun leur personnalité, en les séparant les uns des autres et en les obligeant à surnager et à se battre, mais de manière ô combien douloureuse.

Un auteur dont j'ai apprécié de découvrir l'écriture donc, qui a du talent pour la description et créer des atmosphères. Par contre la cruauté familiale, ce n'est pas ma tasse de thé en littérature (ni dans la réalité..sourire ...). L'histoire m'aurait mise moins mal à l'aise je pense s'il y avait eu du répondant de la part de Marianne. Qu'elle se défende tout simplement ...

Cette lecture a été faite dans le cadre du blogoclub, avec pour thème la famille. Vous trouverez les avis des différents participants chez Sylire et Lisa.

La prochaine lecture mettra à l'honneur le Canada francophone avec La tournée d'automne de Jacques Poulin. A lire pour le 1er septembre.